Une simple carte postale sur fond de ciel bleu et une écriture ronde, appliquée, dans un français parfait. Comme une lettre de vacances que cette grand-mère aux cheveux blancs a reçue le 21 avril dernier à son domicile toulousain. «Je croyais qu’ils étaient en Thaïlande», avoue-elle, en évoquant le voyage de ses petits-enfants si attachés à elle. Leurs mots en témoignent. «Mammy, de tendre pensées de ce beau pays où il y a beaucoup de belles choses. La santé est bonne, nous essaierons de te donner de nos nouvelles régulièrement. Prends soins de toi, tes petits-fils qui t’aiment»… Quand elles les a vus partir au mois de mars, l’octogénaire a bien remarqué que quelque chose clochait. «C’est quelqu’un qui est venu les chercher en voiture, je ne sais pas qui», se rappelle-t-elle. «Ils sont restés dehors. Jean-Daniel, le plus petit, m’a dit: ne pleure pas mamie, on va revenir». Voila trois ans que les deux demi-frères vivaient à Toulouse sous le même toit que leur grand-mère. Jean-Daniel, 23 ans, avait rejoint Nicolas, l’aîné, âgé de 30 ans.
Un jeune homme désocialisé après une adolescence et une scolarité chaotiques, consommateur de cannabis à l’occasion, qui a progressivement évolué vers l’intégrisme islamiste. «Il s’est aperçu qu’il rendait ses parents malheureux», témoigne sa tante. «Il se cherchait. Il a passé en revue toutes les religions et c’est dans l’islam qu’il dit s’être reconnu». C’est le début d’une radicalisation qui a mené Nicolas jusqu’à la fréquentation assidue d’une mosquée toulousaine.
Est-ce là qu’il a été embrigadé pour rallier les combattants syriens? L’enquête des services du renseignement intérieur le dira. Mais Nicolas ne cachait pas à ses proches son fondamentalisme religieux. «Il allait prier tous les jours. Il partait à 5 heures du matin». Le jeune homme n’hésitait pas à faire du prosélytisme dans son entourage. «Il cherchait même à me convertir!», reconnaît sa grand-mère. «Je lui ai dit que j’étais chrétienne et que je restais dans mon idée. Mais il a même essayé d’embrigader ma femme de ménage». Sans succès. Son petit frère, Jean-Daniel, n’a pas eu la même résistance. Comme le Tchétchène Djokhar Tsarnaev avait suivi son aîné, Tamerlan, dans l’équipée folle qui a conduit aux attentats de Boston, Jean-Daniel le jeune Toulousain sans histoire a fait sienne la cause de son frère aîné Nicolas. Jusqu’où ? Leur père, un chef d’entreprise installé en Guyane, qui parle à ses fils au moins une fois par semaine, craint le pire. «Ils veulent mourir en martyrs», s’inquiète-t-il. «Cette dérive peut aller jusqu’à l’acte terroriste. Il faut être lucide, je ne veux pas être le parent de monstres, mais je ne peux pas dire qu’ils ne passeront pas à l’acte».
Avant de poster leur vidéo guerrière sur le net, le 12 juillet, Nicolas et Jean-Daniel ont passé des coups de fil d’Alep ou de Homs, des villes tombés aux mains des insurgés, mais encerclés par les troupes de Bachar Al-Assad, où les combats font rage. «À chaque fois, ils essaient de nous convaincre de venir les rejoindre», raconte leur père, dévoré par l’angoisse et sans solution pour les faire revenir à la raison. Personne ne s’explique, dans la famille comment les deux «petits» ont pu basculer dans ce délire.