Le Sénat débat de l’indemnisation des homosexuels criminalisés par la France

Le Sénat débat de l’indemnisation des homosexuels criminalisés par la France

Le Sénat français débat de l’opportunité d’indemniser les homosexuels condamnés pénalement entre 1942 et 1982, afin de « réparer l’erreur de la société ».

Plusieurs milliers de personnes ont été sanctionnées pour le délit d’homosexualité au cours de ces quatre décennies, et la plupart d’entre elles ont été envoyées en prison.

Le débat a lieu aujourd’hui (22 novembre) à la Chambre haute, sur proposition du sénateur Hussein Bourgi du Parti socialiste.

« Nous avons suffisamment de recul pour pouvoir regarder ce passé douloureux et peu glorieux et reconnaître les erreurs qui ont été commises », a déclaré le sénateur. « Un pays se développe lorsqu’il est capable de regarder son passé avec perspective et détachement.

Il a ajouté : « Ce qui m’a troublé lorsque j’ai déposé cette proposition de loi, c’est le nombre de collègues qui m’ont dit : « Attendez, cela a déjà été fait, n’est-ce pas ? Il semble tellement évident dans l’imaginaire collectif que cela aurait dû être fait depuis longtemps ».

Que dit la loi française sur l’homosexualité ?

La France a techniquement dépénalisé l’homosexualité en 1791, pendant la Révolution française. Cependant, les homosexuels – en particulier les hommes – ont continué à être persécutés légalement, les forces de l’ordre s’appuyant sur deux articles du code pénal.

Le régime de Vichy a réintroduit la discrimination entre hétérosexuels et homosexuels en 1942 – sous couvert de protection de la jeunesse – en fixant l’âge du consentement à 21 ans pour les homosexuels (contre 13 ans, puis 15 ans pour les hétérosexuels).

Cette mesure a été confirmée plus tard par l’article 331 du code pénal. Le 25 novembre 1960, l’article 330 a créé le délit d' »outrage public à la pudeur » lorsqu’il est commis à l’encontre d’une personne du même sexe. Les deux infractions étaient punies d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de plusieurs milliers de francs.

Antoine Idier, sociologue et historien spécialiste de l’homosexualité, a déclaré à l’AFP : « Les juges ont utilisé un éventail beaucoup plus large du droit pénal et toutes sortes d’articles pour punir l’homosexualité, même s’ils n’étaient pas explicitement conçus à cet effet ».

Certaines personnes ont été condamnées pour « attentat à la pudeur » ou « incitation d’un mineur à la débauche ».

L’homosexualité n’a été définitivement dépénalisée en France qu’en 1982.

Combien de personnes ont été condamnées en vertu de ces lois ?

Il n’existe pas de chiffres officiels, mais le travaux des sociologues Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen suggèrent qu’au moins 10 000 personnes ont été condamnées en France entre 1942 et 1982 au titre de l’article 331 du Code pénal.

Il s’agit presque exclusivement d’hommes issus de la classe ouvrière, dont un tiers est marié, veuf ou divorcé. Un quart d’entre eux avaient des enfants. Entre 1945 et 1978, 93 % des condamnations ont donné lieu à une peine d’emprisonnement.

Mais il existe aussi d’autres condamnations pour des « délits » liés à l’homosexualité, fondées sur d’autres articles du code pénal. Certaines condamnations ont été prononcées sur la base d’une homosexualité « supposée ».

M. Schlagdenhauffen, qui a comparu devant les sénateurs dans le cadre du débat, estime que jusqu’à 50 000 personnes pourraient avoir été condamnées pour des « délits » liés à l’homosexualité.

Que propose-t-on pour « gracier » et indemniser les personnes condamnées ?

De nombreuses personnes condamnées ont déjà vu leur casier judiciaire annulé en vertu de la loi du 4 août 1981.

Cependant, la nouvelle proposition cherchera à aller plus loin et à reconnaître la responsabilité de la France dans « la politique de criminalisation et de discrimination » à l’égard des homosexuels. Elle propose également la création d’un nouveau délit – inspiré du délit de « négationnisme » – pour les personnes qui nient que des personnes ont été expulsées de France en raison de leur homosexualité.

Une commission indépendante pourrait également être créée pour indemniser les personnes condamnées, avec un minimum de 10 000 euros, plus 150 euros pour chaque jour passé en prison, et le remboursement des amendes payées.

La France ne serait pas la première à proposer ce type d’indemnisation : l’Allemagne, l’Autriche, le Canada et l’Espagne ont déjà mis en place un système similaire.

M. Schlagdenhauffen estime que le recours à ce système serait relativement faible et que « le montant global ne devrait pas dépasser 2 millions d’euros ».

Une reconnaissance essentielle de l’homophobie d’État

Avocat Joël Deumier, co-président de l’association SOS Homophobie, a déclaré à L’Obs que cette « reconnaissance » du rôle de l’Etat dans la poursuite des homosexuels est « essentielle ».

Il a déclaré : « Les conséquences ont été très violentes pour les victimes de cette persécution, qui ont été obligées de se cacher par peur d’être rejetées ou marginalisées. Ce déni de soi a pu conduire à des comportements dépressifs, voire suicidaires, et à des stratégies d’évitement ».

Il ajoute : « L’homophobie existe encore aujourd’hui parce que les lois, les règlements et les pratiques de l’État ont légitimé cette discrimination dans le passé. L’homophobie d’aujourd’hui ne vient pas de nulle part ».

Selon Jean-Louis Lecouffe, du groupe parisien de l’association LGBT et chrétienne David et Jonathan, la proposition de loi « fera prendre conscience de la violence » dont les homosexuels ont été – et sont parfois encore – victimes en France. Elle permettrait de « rectifier une époque de honte terrible », a-t-il ajouté.

Un homme, Michel Chomarat, se souvient d’avoir été arrêté pour des délits liés à l’homosexualité en 1977 à Paris, avec huit autres hommes, lors d’une descente dans le bar gay Le Manhattan.

Il a déclaré à France 3: « L’homophobie d’Etat, c’était la chasse aux homosexuels partout… A l’époque, quand on était arrêté pour ce genre de choses, il y avait souvent un article dans la presse locale. Certains perdaient leur emploi, d’autres étaient poussés au suicide. Ils ne voulaient pas que cela se sache ».

M. Chomarat a également déclaré qu’il espérait que la France « regarde en face son passé, même s’il n’est pas glorieux », tout en regrettant que le projet de loi soit arrivé « si tard », alors que de nombreuses personnes concernées sont déjà décédées.

En une lettre ouvertepubliée en juin 2022, un groupe de militants, de syndicalistes et d’élus a appelé la France à reconnaître et à réhabiliter les milliers de victimes de la répression anti-gay.

Il rappelle que plusieurs milliers d’hommes ont été poursuivis et condamnés « au nom du peuple français » pour avoir eu des relations sexuelles consenties avec d’autres hommes.

« Avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête, toute une génération de personnes LGBTQI+ a vécu dans la peur, sous la menace d’une législation homophobe », ajoute-t-elle.

Quelle est la probabilité que la loi soit adoptée ?

Ce n’est pas encore clair.

D’une part, le projet de loi a été signé par des sénateurs de tous bords politiques, y compris les groupes socialiste, écologiste et communiste, ainsi que par des partis radicaux, centristes et de droite.

En revanche, le texte n’a pas reçu l’aval de la commission des lois du Sénat (groupe de sénateurs présidé par François-Noël Buffet qui examine les propositions de loi). Le rapporteur Francis Szpiner a soulevé un certain nombre de « difficultés juridiques » dans le projet de loi, notamment le fait qu’il dépasse « la période maximale ». [of 30 years] pendant laquelle une perte peut être indemnisée ».

Le rapporteur a également déclaré que les autres pays qui ont adopté un système similaire – comme l’Allemagne ou l’Espagne – ont un passé d’oppression anti-gay qui « diffère significativement de celui de la France ».

Par exemple, il y a eu plus de 90 000 condamnations en Allemagne, et l’Espagne de Franco a eu une « politique homophobe plus large » pendant des décennies. Il a également déclaré que la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale était déjà couverte par la loi de juillet 1981 sur la « négation de l’Holocauste ».

Cependant, M. Szpiner a déclaré qu’il serait favorable à « la reconnaissance du fait que le législateur a commis une erreur en faisant de l’homosexualité un délit pénal ».

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